après le diagnostic la vie continue
Interview d'Emmanuel Hirsch, philosophe et directeur de l'Espace éthique de AP-HP et du département de recherches en éthique, université Paris-Sud XI

Que pensez-vous de la campagne de « sensibilisation » lancée par France Alzheimer au travers du spot publicitaire visible ici?
On ne peut pas tout faire au nom de la communication. Avec le plan Alzheimer 2008-2012, cette maladie est une affaire nationale et le fait d’être France Alzheimer ne leur donne pas le droit de s’emparer de la communication sur cette maladie.
D’autant plus que la communication qu’ils ont choisie est équivoque. Le message délivré par cette publicité est irrespectueux de la personne, péjoratif et dévalorisant. Lorsque vous communiquez sur une maladie neuro-dégénérative, il faut surtout éviter d’être caricatural. Or là, cette communication ne présente que des figures caricaturales de l’humain, et qui sont en plus dégradantes. 
Et les images terrifiantes engendrent une seule chose : un sentiment de rejet.

Que pensez-vous de l’accroche publicitaire qui sert de conclusion à ce spot : « heureusement, ils ne s’en souviendront pas » ?
Je suis choqué. Comment peuvent-ils dire une chose pareille ? France Alzheimer n’a-t-elle aucune connaissance de cette maladie ? Ils insinuent que les patients Alzheimer n’ont pas conscience de ce qu’ils vivent, or c’est exactement le contraire. Ce qui a de plus déroutant pour ces patients est qu’ils ont des moments de lucidité où ils se souviennent, ce qui rend leur vécu extrêmement douloureux. Avec ce spot on avilie les patients et leurs sentiments.  On nous présente ces personnes comme presque mortes. Vous pensez vraiment que ça va mobiliser le grand public ? Ces personnes malades ont une autre manière de vivre la réalité mais elles sont complètement vivantes. En plus cette communication est une négation du travail colossal fait par les soignants, et du soutien des familles. Pour moi, c’est un travail de sape. C’est une inintelligence de la situation !
Ont-ils pensé une seconde aux malades ? Comment vont-ils vivre cette vision qu’on leur donne de leur maladie ? C’est une vision marketing dénuée d’intelligence qui est en plus extrêmement violente pour les familles.

Quels éléments impliqueraient une communication « éthique » sur la maladie d’Alzheimer ?
Le premier point qu’il aurait fallu promouvoir était une solidarité face à des gens vulnérables, dont les droits doivent être respectés. La déclaration universelle des Droits de l’homme et la loi du 4 mars 2002 vont dans ce sens : le respect des droits de l’homme, de son humanité peu importe son état ou sa maladie. Cette publicité est donc déphasée.

Il fallait respecter le malade. Et là, on le voit manger de la nourriture pour chien. Il est donc indirectement assimilé à un chien, et perd sa dignité humaine.
Il aurait fallu valoriser les familles. Et là que voit-on ? Un père hurlant sur ses enfants qu’il ne reconnaît plus…
Regardez la communication faite par l’Institut national du cancer pour sensibiliser à cette grande cause. Les malades étaient des « héros ordinaires » et les familles étaient présentées comme une force. Cette campagne a contribué à sensibiliser l’opinion, et à changer cette image extrêmement sombre qui accompagnait le cancer. 
Il existe des manières d’informer sans blesser, sans dégrader la personne humaine. Pourquoi faire des images qui défigurent la condition humaine ?

Propos recueillis par Carole Ivaldi

 


 
 
 
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