QUESTIONS DE L'ENTOURAGE
Faut-il dire sa maladie à la personne? L’amour de la vérité peut-il être une aide pour lutter?
Le déni ou le mensonge ne peuvent qu’aggraver les choses. Comme cette maladie n’est pas bénigne, il faut la traiter avec respect. C’est certainement stupide de dire, comme on le fait souvent plutôt que d’admettre son ignorance: « Ca va s’arranger avec le temps ». Rien ne s’arrange avec le temps, en vérité. Ici, on peut être sur et certain d’une chose : avec le temps tout va s’aggraver et même s’aggraver vite. Il faut donc prendre immédiatement des mesures drastiques.
Pourtant il convient de distinguer entre le déni de l’entourage et celui du patient. Les deux sont aggravés par l’image apocalyptique de la maladie, dont les médias sont friands. L’entourage doit le premier accepter la maladie et ses conséquences, d’autant qu’il a un rôle énorme à jouer pour limiter les effets de la maladie sur la vie quotidienne.
Quant au patient, il vaut mieux considérer dans un premier temps que le déni de la maladie fait partie de la maladie. Pour une raison très simple, le diagnostic est une information indigeste pour celui dont le problème est justement la difficulté à gérer et à digérer les informations compliquées.
Ce n’est que quand la maladie aura été apprivoisée et correctement gérée, qu’elle apparaitra au patient comme une donnée de son environnement et qu’il apprendra à reconnaître ses effets, à les anticiper et à en parler librement.
Les personnes pratiquant une religion, ou une recherche spirituelle, sont-elles plus aptes que les autres et pourquoi ?
La religion, la recherche spirituelle sont comme tout le reste des activités humaines, la meilleure ou la pire des choses, tout dépend de ce que l’on en fait. On peut s’en servir pour se conforter dans le mensonge ou de s’en servir pour affronter la vérité de la situation. Tout ce qui sert à s’approcher de la vérité est bénéfique, le reste non.
Les habitudes régulières sont-elles utiles?
Une vie régulière et paisible est une nécessité impérative et toutes les sources de stress doivent être bannies. On peut définir le stress comme un excès d’information et de demandes qui arrivent sur une personne à un moment où elle ne peut pas y faire face avec plaisir.
Le patient ne va pas pouvoir gérer facilement ce qui est généralement considéré comme un stress. De plus, beaucoup de situations de la vie ordinaire peuvent devenir du stress pour lui (par exemple: prendre le train, se retrouver dans une grande foule, entendre des cris d’enfant). Il faut donc les éviter au maximum et arranger un environnement paisible et bien sûr une vie régulière. Toute relation conflictuelle avec qui que ce soit doit être radicalement écartée.
Il s'agit de savoir ce que l’entourage peut apporter dans une affection si "dévastatrice".
Encore une fois, il faut expliquer comment fonctionne cette maladie, c’est une maladie de la gestion de l’information. Il y a des capacités qui sont parfaitement préservées, il faut les mettre au jour et les utiliser, de façon à ce que la personne reste elle-même.
Le malade doit modifier ses habitudes et accepter par exemple de ne pas conduire. Au volant un dixième de seconde compte et comme l’information circule lentement, c’est un risque à ne pas prendre. Dans la plus part des activités de la vie, on n’est pas à quelques secondes près et on peut au contraire s’habituer à « prendre son temps » pour faire les choses. Dans la mesure où les aspects techniques de l’existence sont forcément réduits, tous les aspects affectifs et de relations avec les autres se trouvent renforcés. Il y a là un rôle naturel pour l’entourage, l’occasion de développer une relation riche et pleine de sens.
Personne ne dit que l'on peut vivre malgré ou avec la maladie, que la maladie peut évoluer lentement, que des stratégies de compensation, d'aide et de soutien peuvent étayer le quotidien.
C’est bien dommage que les médecins ne le disent pas et ne donnent pas le plus petit mode d’emploi. Les médecins dans notre civilisation occidentale par fonction et par formation s’intéressent aux maladies et pas aux malades.
Cette maladie chronique demande autre chose que des remèdes, une sorte de protocole « comment vivre avec ».
Pour se sentir personnellement pris en compte, les malades se tournent vers des médecines ou des traditions orientales (acupuncture, tai-chi, gym taôiste) ou des médecines douces (ostéopathie, gym sensorielle) .
L’idée est que les deux approches sont complémentaires et qu’il faut les utiliser toutes les deux.
Comment être utile au malade ? Comment l'aider sans le dévaloriser ?
Si en aidant un malade on le dévalorise, on l’enfonce et on donc ne l’aide pas du tout. Ici, il importe de se débarrasser une fois pour toute de la notion de sacrifice. Ce que vous faites vous le faites de bon cœur, parce que ca vous plaisir. Si vous avez l’impression de vous sacrifier, vous vous détruisez (cf toute la littérature de France Alzheimer sur les « aidants épuisés ») et vous détruisez celui ou celle que vous prétendez aider. Dans ce genre de situation, on ne peut pas tricher ou faire semblant.
Le moral du patient est son meilleur atout. Tout ce qui renforce son moral ou le sentiment de sa valeur est bon. Il a besoin de voir des gens heureux autour de lui. Le bonheur est un anti-stress.
Aider qui que ce soit demande de la sensibilité et de l’intelligence. Il ne faut pas avoir peur de demander au patient ce qu’il préfère ou surtout il ne faut pas oublier de lui demander son aide pour une tache ou une autre, de façon à ce que la relation ne soit jamais à sens unique.
Comment reconnaître en lui tout ce qu'il est encore capable et non pas seulement ce qu'il ne peut plus faire ?
Une phase d’exploration et d’essais est nécessaire. Si une personne ne peut plus faire fonctionner un distributeur de billet, elle peut retirer de l’argent au guichet de sa banque, faire ses courses dans les petits magasins plutôt que dans une grande surface.
Il est nécessaire d’observer la personne, de l’écouter, mais pas seulement. Si la première réponse est : « Je ne me souviens plus ». La mémoire qui existe toujours, mais qui est devenue difficile d’accès, peut revenir grâce au récit du contexte ou aux détails qui y sont rattachés.
Il faut chercher avec la personne ce qui lui serait agréable et valorisant de faire. Après une activité valorisante, on sera étonné de voir les connexions fonctionner nettement mieux, le regard briller, la parole se libérer.
Comment positiver un quotidien de plus en plus difficile ?
Le quotidien peut devenir de plus en plus facile, même si la maladie s’aggrave insensiblement, à condition d’avoir appris à la gérer. Ce qui demande un certain travail mais pas des sacrifices. Le premier travail est sur le stress. Eliminer au maximum le stress d’une vie est une tache difficile, mais O combien gratifiante, une fois qu’on a réussi.
Comment ne pas tout faire à la place de l'autre ?
Comme il y a un certain nombre de choses que la personne ne peut pas faire, il faut lui laisser faire tout ce qu’elle peut faire. Par exemple, le patient peut ranger la vaisselle dans la machine, une autre personne la mettre en route, le patient peut fermer les portes à clé, une autre personne mettre l’alarme. L’idée est de répartir les compétences, suivant une nouvelle géographie, pour que chacun participe à la vie commune.
Comment accepter de prendre des risques ?
Il faut les peser et sentir si le jeu en vaut la chandelle. C’est au cas par cas. Comme dans la vie de tous les jours. C’est particulièrement important pour découvrir de nouvelles activités ou de nouvelles manières d’aménager des activités anciennes.
Comment ne pas vouloir tout guérir ?
Rien ne sera plus jamais comme avant, il faut l’accepter et beaucoup de nouvelles choses sympathiques peuvent alors arriver. Ce qui dérange ne peut pas disparaître d’un coup de baguette magique. Ce n’est au pouvoir de personne de revenir dans « l’avant ». Si vous regretter « l’avant », alors il faut s’attacher à profiter du présent comme il est, car il est destiné à disparaître aussi.
Comment ne pas sur-stimuler ? Comment ne pas vouloir les faire devenir des champions des chiffres et des lettres ?
Observer et voir les conséquences. Sur-stimuler est négatif, cela peut faire partie du déni de l’entourage. Mais encore une fois, si quelqu’un est passionné par les chiffres et les lettre ou le bridge (on m’en a donné un exemple) il faut lui permettre de vivre au mieux sa passion et aménager les choses en fonction.
Comment accepter de décider à la place ?
Il vaut mieux décider avec et plutôt qu’à la place. On peut parler de toutes les décisions à prendre et lui demander son avis. On a toujours intérêt à écouter une personne qui vit beaucoup dans sa sensibilité. On a des choses à apprendre d’elle. Si elle a des réticences, il vaut mieux les écouter et faire une autre proposition.
Comment rester dans la société ?
Si on vit dans un milieu prisonnier des apparences, autant s’en éloigner le plus discrètement possible. Si on a de bons amis autant les voir de temps en temps. L’idée est d’organiser une vie aussi normale que possible calme et ordonnée de façon à éviter la survenue d’un stress quelconque.
Que dire à sa famille ?
Cette pathologie est invisible. Elle ne se révèle que dans des situations caractéristiques. Le malade peut très bien ne pas vouloir divulguer la nouvelle, surtout au début de la maladie. Il peut décider à qui le dire, à qui ne pas le dire.
Pour éviter des situations ambigües, on peut prévenir des tiers sans en informer spécialement le malade. Même si l’on précise que tout se passe bien, les gens prévenus , à cause de la mauvaise presse de la maladie, s’attendent à trouver quelqu’un de gravement handicapé, ce qui finalement peut créer une situation tendue. Il vaut peut-être mieux attendre les questions. Cela vaut pour les amis ou les relations sociales.
Pour la famille proche, il semble qu’il vaille mieux prévenir les gens en essayant au mieux d’expliquer ce qu’est en réalité la maladie. Ce n’est pas évident de communiquer là-dessus, de faire comprendre ce qui est réellement changé dans les rapports à l’autre.
Des gens à qui on ne peut pas parler librement et avec qui on ne peut rien partager, même s’ils font partie de la famille, vont être un facteur de stress. Dans l’aventure de cette maladie, il faut savoir se décharger des fardeaux inutiles et voyager léger. Partager ses expériences avec des gens qui savent écouter est toujours un véritable plaisir.
Comment préserver la dignité de tous ?
Le respect de soi-même consiste à assumer ses choix et non pas à se conformer à des apparences si brillantes soient-elles. Il n’y a pas de dignité si on triche ou si on fait semblant. La dignité va avec la sincérité et la simplicité. Si vos cousins se sentent gênés parce que vous avez Alzheimer, envoyez-les poliment au diable, s’ils vous invitent à diner, vous aurez un contretemps.
Comment se préserver ?
Il faut préserver sa sensibilité et sa capacité à être heureux. Pour cela il est important de faire face à ce que la vie nous envoie, si nous voulons qu’elle devienne notre amie. Faire face, cela veut dire aussi préserver ses capacités, ne pas en faire trop ni pas assez. Il faut donner à la maladie la place qu’elle a, pas plus pas moins.
Savoir ne pas savoir faire ? Savoir faire reconnaître son savoir faire ?
C’est uniquement en faisant des erreurs que l’on peut accroitre son domaine de compétence, donc on essaie et si ca ne marche pas, on essaie quelque chose de nouveau. On ne dit pas que si cela ne marche pas, c’est la faute de l’autre. Il n’y a pas de faute, il n’y a que des essais pour arriver à l’action juste. Et dans cette aventure, il faut utiliser sa créativité.
Comment accepter de l'aide ?
Si on a besoin d’aide et si on vous l’offre de bon cœur, ce serait dommage de la refuser. Si ce n’est pas le cas, si on sent que la personne se croit obligée de… il vaut mieux dire : « non merci, pas aujourd’hui, on verra une autre fois ».
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